La laïcité dans la violence des rapports de classe

La laïcité dans la violence des rapports de classe
A l'approche des élections, les sociologues Monique et Michel Pinçon Charlot démontrent comment la grande bourgeoisie instrumentalise la laïcité au service de « l’entre-soi ». Un paradoxe qui pointe aussi le problème de la représentativité sociale en France dans les Institutions de la République.

La loi de 1905 dite de «  séparation des Eglises et de l’Etat », loi de liberté et instrument de paix civile, est en train de devenir un moyen de division  entre les classes sociales. En effet, que représente exactement la laïcité pour les plus riches qui ne subissent aucune contrainte dans leurs choix, qu’il s’agisse des quartiers où ils vivent ou de l’école où ils mettent leurs enfants ? Dans le communautarisme grand bourgeois, l’œcuménisme  est  une condition favorable aux amitiés internationales et pluriconfessionnelles car la socialisation et l’éducation des futurs héritiers doivent être  en phase avec la mondialisation du monde des affaires.

Ainsi à l’ Ecole des Roches, à Verneuil-sur-Avre, créée en 1898, où l’internationalisme du recrutement des élèves interdit qu’une confession soit plus affichée qu’une autre. Cette école se revendique « laïque dans le sens plein du terme » comme nous l’a dit l’un de ses responsables. L’information religieuse y est libre et sans ostracisme de telle sorte que sont invités aussi bien un évêque, un rabbin, un imam ou un libre penseur pour animer des rencontres avec les élèves, issus de familles de banquiers parisiens, suisses ou qataris mais aussi de familles russes, chinoises ou africaines dans les affaires au plus haut niveau. La laïcité relève alors ici plus du pragmatisme pour que le business fonctionne au mieux que d’une valeur morale de respect de la liberté de croyance.

 

« La paix religieuse est indispensable pour que les affaires fructifient à l’échelle de la planète. »

 

L’internationalisme du communautarisme grand bourgeois est confirmé dans les 8è et  16e arrondissements de Paris  où  les taux d’étrangers frisant les 15 %, ce qui correspond à la moyenne générale de Paris. Il ne s’agit pas d’ «immigrés » mais d’«étrangers », leur position sociale étant en harmonie avec la composition sociologique de ces arrondissements, c’est-à-dire très haut-de-gamme. Des ambassadeurs, des banquiers ou des cadres supérieurs  marquent le caractère spécifique de la population étrangère des beaux quartiers. La laïcité est de règle : les relations entre puissants évitent toute tension prenant sa source dans la diversité des cultures et des religions. La paix religieuse est indispensable pour que les affaires fructifient à l’échelle de la planète.

 

« L’argent semble avoir gagné  dans sa rivalité avec les religions pour atteindre l’universel. »

Dans la haute société, tout se passe comme si la position de classe renvoyait les appartenances religieuses au statut de variable secondaire. L’argent semble avoir gagné  dans sa rivalité avec les religions pour atteindre l’universel. Le Dieu Argent et « la main invisible » du Dieu Marché sont désormais l’opium de la grande bourgeoisie. La liberté de pensée , de conscience et  de religion ne pose aucun problème à la condition d’une adhésion sans faille à la « pensée unique » du néolibéralisme. Celui-ci  transforme, dans une logique de classe , un système économique et social  profondément inégalitaire, le capitalisme, avec la propriété privée des moyens de production pour les riches héritiers, en donnée « naturelle, » allant de soi et donc intouchable. Le monde est comme il est et ne peut être autrement dans sa soumission à la volonté des plus puissants. L’arbitraire des privilèges doit rester caché car c’est la condition de la reproduction de l’ordre des classes. Dans ce déni de la possibilité de la volonté humaine de pouvoir construire un monde plus équitable, la laïcité est instrumentalisée pour dédouaner les responsables, banquiers et autres spéculateurs financiers, des inégalités économiques devenues abyssales . La laïcité des grands bourgeois est donc une façon de préserver leurs richesses et leurs pouvoirs.

A l’inverse, la division entre les dominés selon leurs appartenances religieuses  interdit la convergence des revendications et des luttes contre des élites profondément solidaires dans la défense de leurs intérêts de classe. L’hostilité populaire envers des familles affichant une religion autre que le christianisme soulage les inquiétudes des possédants. Les inégalités économiques sont  un facteur de tensions sociales dangereuses qu’il est préférable de voir dévoyer en des luttes internes aux classes dominées.

 

« Seul un ensemble de réformes pourra permettre de retrouver une Assemblée Nationale représentative de la diversité sociale de la France. »

La lutte contre l’appropriation du pouvoir politique par une petite caste est, à l’approche d’élections importantes, décisive pour le combat contre les inégalités économiques et sociales qui pourra trouver dans la laïcité, comme valeur clé de la République, une raison de former un front uni, indépendant des clivages religieux .

Les mesures suivantes pourraient être mises à l’ordre du jour de l’Assemblée Nationale si le peuple français se mettait en colère contre une oligarchie politique au service des milliardaires  : l’abolition du cumul des mandats, l’interdiction de faire carrière en politique avec la limitation des mandats successifs, la création d’un statut de l’élu pour permettre de retrouver son activité professionnelle, l’instauration du vote obligatoire et enfin la comptabilisation des votes blancs dans les suffrages exprimés. On pourrait même instaurer un plafond  pour le pourcentage de votes blancs et invalider une élection si celui-ci était dépassé.

Ces différentes propositions pour mettre fin au mécanisme de la représentation politique aujourd’hui totalement enrayé forment un tout. Seul  cet ensemble de réformes pourra permettre de retrouver une Assemblée Nationale représentative de la diversité sociale de la France et de légiférer pour l’intérêt général en donnant la priorité aux investissements humains, notamment l’éducation et la santé. L’humain ne sera plus stigmatisé de « coûts », de « charges » ou de  « trou de la sécu » et autres horreurs comptables, il deviendra le centre des préoccupations des élus. C’est à cette condition que la laïcité retrouvera ses lettres de noblesse.

 

A lire  : « Sociologie de la bourgeoisie », Repères , 4è édition , La Découverte, 2016

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