« Plus fort que la laïcité, la fraternité à hauteur d’hommes »

 « Plus fort que la laïcité, la fraternité à hauteur d’hommes »
Nos Rendez-vous de la laïcité s’enrichissent cette semaine avec la tribune de Yann Boissière, du Mouvement Juif Libéral de France.

La laïcité dans la tourmente

Burkinis sur les plages, controverse en 2016 sur l’Observatoire de la Laïcité, polémiques autour des menus de substitution dans les cantines scolaires, « Hijab Day » à Science-Po : la laïcité se trouve constamment sous les feux de la rampe. Disséquée par les intellectuels, scandée par les politiques ou instrumentalisée par des militants aux agendas de toutes sortes, la laïcité apparaît complexe, brouillée et finalement incompréhensible. Cette difficulté à percevoir clairement la laïcité érode peu à peu notre confiance en la République et ses valeurs. Pourtant, le principe en lui-même demeure absolument simple et clair.

 

De la simplicité de la laïcité

Dans un récent ouvrage, Patrick Weil rappelle que « la laïcité, c’est d’abord un régime juridique ». En tant que norme, elle énonce deux principes fondamentaux : d’une part la liberté de conscience (dont la liberté de croire ou ne pas croire) ; d’autre part, l’égalité de respect de l’Etat envers ses citoyens, sa non-discrimination vis-à-vis de leur croyance. C’est la phrase de Jean Rivero : « Devant la question de l’existence de Dieu, l’Etat français répond : ‘’Je ne sais pas, et je ne prends pas position’’ ».

Ces deux principes se traduisent en deux modes de fonctionnement institutionnels : la séparation des Eglises et de l’Etat et la neutralité de l’Etat vis-à-vis de la religion. Ces modes de fonctionnement ne sont pas des fins en soi, mais des moyens d’atteindre les principes fondateurs. Précision utile si l’on considère combien la séparation seule est parfois présentée comme l’alpha et l’oméga de la laïcité.

C’est là tout ce qu’il y a à savoir de la laïcité ! Pourtant, cette puissante simplicité est chose la moins bien admise du monde. Et sujette à vulnérabilité. Les pires attaques contre la laïcité ne sont jamais frontales, mais de manière bien plus insidieuse, elles sont le fruit de ceux qui font foi de l’« interpréter ». Parmi elles, deux tendances s’opposent : la laïcité « adjectivée », dont les qualificatifs les plus en vogue, laïcité « ouverte » ou « positive » laissent supposer qu’à nu, la laïcité serait symétriquement « fermée » ou « négative » – interprétation qui n’a pour objectif, in fine, que de chercher à l’amoindrir au profit d’une revendication identitaire. À l’inverse, le laïcisme extrême, prônant une neutralisation radicale, tord la laïcité dans un sens antireligieux, tout en prétendant en être le gardien le plus rigoureux. Soyons clairs : la plupart de ces « interprétations » dérivent soit d’une méconnaissance des textes, soit d’un activisme politique visant à faire bouger les lignes.

 

Pourquoi faudrait-il encore tenir à la laïcité ?

Sans équivalent à l’étranger, ferment d’incompréhensions et de mésententes, pourquoi finalement faut-il tenir à la laïcité ? Son importance est tout aussi simple que son principe : garantir un cadre pour affermir la paix sociale au sein de la nation.

Or, face à la désocialisation et la déculturation qui gagne une frange croissante de la population française, réexpliquer la laïcité et ses vertus devient une priorité absolue. Pour corriger, en premier lieu, l’erreur la plus fréquente : la confusion portant sur le sens du mot « public » dans les deux expressions « pouvoir public » et « espace public ».

Dans « pouvoir public », « public » s’oppose à « privé », distinction entre deux ordres du droit. Dans « espace public » en revanche, « public » veut simplement dire « accessible au public ». Rappel crucial quand on sait que la laïcité ne s’applique qu’aux autorités publiques et à leurs agents. Conséquence : les religions ont toute légitimité à s’exprimer dans l’espace public, et ne sont nullement confinées à la sphère privée comme on l’entend souvent. Ces confusions ne peuvent être considérées comme des « interprétations » de la laïcité ; elles témoignent purement et simplement d’une erreur de vocabulaire.

Méfions-nous aussi de l’apparition d’une « mystique républicaine et laïque ». Mystifier les valeurs intrinsèques des institutions a toujours été une potentielle recette pour le totalitarisme. Mais surtout, survaloriser un dispositif politique se fait souvent au détriment des problématiques sociales (la République, ne l’oublions pas, est aussi censée être « sociale ») mais également du « bon sens » et de la « vertu civique » qui, tout autant que la Loi, assurent l’efficace et l’esprit de nos institutions.

 

Plus fort que la laïcité, la fraternité « à hauteur d’hommes »

Plus puissant que la loi, demeure ainsi le facteur humain, la « volonté bonne » qui conditionne le succès de tout dispositif, y compris celui de la géniale simplicité de la laïcité. Vivre ensemble, constituer un peuple appelle non seulement au respect, vertu bien minimale, mais aussi à l’amour de l’autre, à lui donner de l’importance. La loi ne peut en aucun cas se substituer au souci, à la recherche de ce que nous avons en commun. Liberté, égalité, fraternité ; il est temps de mettre en action la devise jusqu’au bout…

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