« Ce qui se passe à Calais me fait peur pour l’avenir de mon pays »

« Ce qui se passe à Calais me fait peur pour l’avenir de mon pays »
Depuis le démantèlement du camp de Calais, la situation pour les migrants et les mineurs isolés s’est aggravée : isolement, violences, exposition à des trafics humains. Nathalie Janssens, bénévole à l’Ecole Laïque du Chemin des Dunes et lauréate du prix Solidar partage son indignation.

Quelle est la situation en ce moment à Calais ?

La situation est devenue terrible. Les organisations le constatent sur le terrain : les bidons d’eau gazés, les sacs de couchage jetés, les habits et chaussures mis à la poubelle… Ce sont des actes très violents à l’égard des migrants. Même si les conditions de vie étaient insupportables dans le camp, il y avait une forme d’organisation et un tissu associatif important pour leur venir en aide. Après le démantèlement, l’Etat n’a pas proposé de véritable alternative. Les familles ont dû monter dans des bus et se sont retrouvées à l’autre bout de la France. Je connais par exemple une famille dont les deux petites filles venaient à l’Ecole Laïque du Chemin des Dunes. Ils ont dû partir dans le Sud. Leur projet était pourtant de venir en Angleterre, donc ils sont revenus et se sont retrouvés à errer aux abords de Calais ! Des bénévoles m’ont demandé de continuer à leur donner des cours de français. Mais à chaque fois, j’avais beaucoup de difficulté à les retrouver. Les mineurs non accompagnés et les jeunes adultes sont très nombreux, impossible de savoir ce qu’ils deviennent. Il y a aussi de plus en plus de jeunes filles et de jeunes femmes notamment érythréennes. Il devient compliqué d’offrir un accompagnement digne à toutes ces personnes et parfois on perd la trace de certaines. Vous imaginez les dangers auxquels elles sont exposées ?

 

Plus dun an après le démantèlement, quel regard portez-vous sur lEcole Laïque du Chemin des Dunes ?

Je savais dès le départ que ce n’était pas la solution idéale : se dire que ces enfants-là n’avaient pas le droit d’aller à l’école comme les autres, c’était une blessure pour une enseignante comme moi. J’aurais souhaité que les enfants retrouvent le chemin d’une école normale mais il n’y avait pas de volonté politique de les scolariser dans les écoles de la République. Avec les bénévoles, on a essayé de faire en sorte que ces enfants et ces jeunes raccrochent aux apprentissages, retrouvent des habitudes scolaires. Pour la plupart, cela faisait plus de quatre mois qu’ils n’allaient plus à l’école. L’Ecole Laïque du Chemin des Dunes, avec ses défauts et ses qualités, a été une parenthèse dans le camp. Elle a été une bulle d’oxygène pour beaucoup de mineurs et d’adultes dans des parcours de vie bouleversés.

 

Que pensez-vous des annonces qui sont faites aujourdhui à l’égard de laccueil des réfugiés ?

Honnêtement, j’ai peur pour l’avenir de mes enfants, de mon pays, pour l’avenir de ces personnes. Je vois autour de moi une tendance au repli sur soi. J’habite dans une région, où l’extrême droite remporte beaucoup de suffrage. Il y a beaucoup d’incompréhension des gens, d’inquiétude par rapport à l’avenir, de bêtise aussi. Ce sentiment de défiance me semble également largement nourri par les médias. Alors qu’aider les migrants, c’est juste être humain. J’observe aussi une déconnexion de plus en plus forte entre ce que les gens vivent et la politique. Cela me rappelle en 2016, lorsque l’assistant du sous-préfet est venu dans le camp de Calais avec une cravate Burberry et des boutons de manchette pour annoncer aux réfugiés le démantèlement. Dans quel monde vit-on ?

 

Vous avez récemment reçu le prix Silver Rose de Solidar, qui récompense des actions de solidarité et qui oeuvrent pour la Justice sociale, est ce que cela vous a surpris ?

Oui bien évidemment : avec les bénévoles, on a été émus car c’était une reconnaissance pour l’équipe de l’Ecole Laïque du Chemin des Dunes. A l’occasion de la remise de ce prix, on en a profité pour faire passer nos messages et rappeler à l’Etat français et aux Etats européens leurs engagements et notamment leur obligation de respecter l’article 28 de la Convention internationale des droits de l’enfant sur le droit à l’éducation de toutes et tous. Nous avons également dédié ce prix aux réfugiés enfants et adultes, obligés de quitter leur pays, que nous avons eu la chance de rencontrer, avec lesquels nous avons eu des moments de partage et d’amitié.

 

Nathalie Janssens était enseignante bénévole à lEcole Laïque du Chemin des Dunes. Solidarité Laïque à travers ces actions soutient des initiatives en faveur de laccueil des réfugiés.

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