« L’enseignement du français est un des enjeux du développement »

« L’enseignement du français est un des enjeux du développement »
Parmi les 33 pays et régions qui ont le français comme langue d’enseignement, les pays d’Afrique subsaharienne, de l’océan Indien et Haïti, présentent des résultats médiocres en matière d’accès à l’éducation. Quelles seraient les perspectives si la France misait davantage sur une  formation linguistique des enseignants au cœur de la politique du développement de l’éducation ? Le point avec Roger Pilhion, ancien directeur adjoint du CIEP et co-auteur du livre « … et le monde parlera français ».

 

Dans votre récent ouvrage, vous soulevez la question, rarement abordée, de la maîtrise du français par les éducateurs dans les pays où notre langue a été choisie pour enseigner. Et, en effet, si les enseignants parlent mal français, comment peuvent-ils transmettre les connaissances à leurs élèves ?

 

18 pays d’Afrique subsaharienne et de l’océan Indien et Haïti ont choisi la langue française comme langue d’enseignement. Tous ces pays sont multilingues, avec un taux de francophones qui varie considérablement d’un pays à l’autre, allant de 6 % au Rwanda à 73 % à Maurice, la moyenne s’établissant à 32,3 % selon un rapport de l’Organisation internationale de la Francophonie de 2014.  Lorsque les élèves arrivent à l’école, beaucoup ne connaissent pas le français et nombre d’enseignants eux-mêmes en ont une maîtrise très insuffisante.

Que la langue française soit enseignée dès la première année ou introduite progressivement après de premiers apprentissages dans une langue locale, ne change rien à ce problème. Si les enseignants maîtrisent mal la langue d’enseignement, et c’est le cas de beaucoup, en particulier de ceux, nombreux, qui ont été recrutés sans formation initiale dans le cadre du Plan éducation pour tous, comment s’étonner de la faillite de ces systèmes éducatifs ?

 

On imagine donc que  les politiques de coopération en matière d’éducation tiennent compte de cette nécessité d’améliorer la formation linguistique des enseignants. Qu’en est-il exactement ?

 

Hélas, non, l’éducation a cessé d’être une priorité dans les orientations de la politique française d’aide au développement au cours des dernières années. Comme l’a fort opportunément rappelé l’Observatoire de l’aide publique française à l’éducation dans les pays en développement, publié par Coalition Education, l’éducation de base ne représentait que 18 % de l’aide bilatérale française à l’éducation et, ramenée à l’aide française totale, qui inclut les contributions de la France au financement des principaux bailleurs mondiaux de l’aide publique au développement, elle ne représentait que 3 % des contributions françaises en 2014.

Ne parlons pas des formations linguistiques, pourtant indispensables. Rares sont les programmes qui les ont prises en compte. En outre, depuis quelques années les budgets de la Francophonie et de la coopération linguistique dans les ambassades sont en net recul.

 

Faut-il en déduire une incohérence dans la politique de coopération en matière d’éducation ? A quoi est-elle due ?

 

De mon point de vue, c’est malheureusement le cas. Les causes en sont complexes et multiples.

L’Agence française de développement (AFD), principal bailleur de fonds pour la politique française d’aide publique au développement, n’a pas de mandat pour financer des programmes d’appui à l’enseignement du et en français. Elle n’intervient qu’à la marge sur ces questions, dans le cadre de programmes peu importants d’un point de vue financier, comme Elan ou IFADEM. Cette responsabilité incombe au ministère des affaires étrangères dont les crédits en matière de coopération linguistique ont beaucoup baissé et qui intervient peu dans ce domaine en Afrique francophone.

En outre, la Francophonie n’a pas toujours bonne presse en Afrique. Pour certains, elle est un héritage du colonialisme quand elle n’est pas considérée comme un faux-nez de la Françafrique ! Le français est parfois aussi perçu comme la langue d’une élite dominante corrompue, voire même comme un instrument de ségrégation sociale.

Dans un rapport d’information à l’Assemblée nationale de janvier 2014, La Francophonie : action culturelle, éducative et économique, l’ancien député Pouria Amirshahi faisait justement observer que l’avenir du français  « se joue sans doute de manière centrale (dans la) démocratisation. » Et qui mieux que l’école peut y contribuer ? Nous sommes là devant un des défis majeurs auxquels l’école est confrontée dans ces pays. Et au-delà de l’école, et nécessairement à travers elle, la maîtrise du français constitue une ouverture au monde et une des clés de développement de l’Afrique.

 

Quelles seraient les mesures à prendre pour faire évoluer cette situation ?

 

Il faut replacer l’éducation au cœur de la politique française d’aide au développement en Afrique francophone, en Haïti et au Liban et faire de la formation pédagogique et linguistique des enseignants de ces pays une priorité politique.

Dans ce domaine, il ne faut pas hésiter à sortir des sentiers battus, en misant notamment sur la formation à distance et sur les formations en ligne ouvertes à tous (MOOC). Et il faut être créatif ! Quand il n’y a pas internet, les clés USB, les DVD, les téléphones portables peuvent être des supports de formation pertinents.

Il faudrait, par ailleurs, élargir le champ d’intervention de l’Agence française de développement (AFD) à la coopération linguistique et francophone, comme cela a été fait pour la coopération éducative il y a quelques années. Ainsi l’AFD, qui sert de banque pour les financements français en matière de développement, pourrait être autorisée à prendre en charge certains des financements nécessaires. Elle pourrait ainsi intervenir en appui à la formation linguistique et pédagogique de ces enseignants.

L’AFD pourrait aussi être autorisée à financer des contributions exceptionnelles sur crédits liés (c’est-à-dire ne pouvant être utilisés à d’autres fins que celles décidées par le bailleur) à l’OIF visant ces mêmes objectifs. L’Agence pourrait aussi être autorisée à prendre en charge un programme comparable au programme européen Erasmus ouvert aux étudiants des pays ayant le français comme langue d’enseignement. Les moyens ne manquent pas, mais il faut une volonté politique…

 

En savoir plus : 

https://etlemondeparlerafrancais.iggybook.com/fr/ 

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