7 questions à Jean-Louis Bianco, président de l’Observatoire de la laïcité

7 questions à Jean-Louis Bianco, président de l'Observatoire de la laïcité
Cantines scolaires, racisme, antisémitisme, terrorisme, calendrier des jours fériés, prières de rue, cette semaine, Jean-Louis Bianco, président de l'Observatoire de la Laïcité répond en vidéo aux questions de Solidarité Laïque. Un Rendez-vous de la laïcité fourni qui aborde débats, idées reçues et instrumentalisations de la laïcité.

      1. Des jeunes Français scolarisés à l’école de la République tuent au nom de la religion. Qu’avons-nous raté ?

 

 
Je crois que l’échec est lié à des problèmes qui dépassent la laïcité. On peut avoir une laïcité formidable, parfaite, bien vécue, connue, pratiquée – et on a des propositions à faire là-dessus,  il y a un énorme effort de formation qu’il reste à faire -, mais ça n’empêchera pas que vous ayez des esprits complètement tordus, soumis à un certain nombre d’influences de type sectaire qui se lancent dans ce terrorisme. La réponse la plus forte est probablement une réponse en termes de politiques publiques au sens large qui s’affrontent à la question des ségrégations et des guettoïsations. Si vous avez des gens qui vont jusque-là, – en tout cas, vous avez parfois aussi des pressions communautaristes -, c’est bien parce qu’il y a des communautés homogènes. Donc, si on n’a pas une politique très volontariste, et jusqu’ici on ne l’a pas eue, de meilleure intégration scolaire, de meilleure intégration dans l’habitat, de diversité, de mixité sociale, alors on aura un terreau où sur des esprits faibles ou en difficultés, la pression d’une motivation prétendument religieuse sera très forte. Donc la clé pour nous, ce sont les politiques de mixité et c’est bien entendu la formation des élèves notamment à l’école, mais de tous les acteurs à la laïcité, en sachant que, encore une fois, il y a des libertés et des interdits, et quand quelqu’un franchit la ligne de l’interdit, il ou elle doit être sanctionné(e), qu’il soit d’ailleurs croyant ou pas. 

 

       2. Des responsables politiques prennent prétexte de la laïcité pour stigmatiser la communauté musulmane. Quelle est votre analyse ?

 

 
Pour certains, la laïcité est devenue un prétexte pour stigmatiser nos compatriotes de culture ou de religion musulmane. C’est très clair dans le discours du Front National. On ne dit plus “arabe”, on dit “musulman”. On ne dit plus “immigré”, on dit “musulman”. C’est frappant de voir, même si cela s’est calmé, que le Front National était la formation politique qui parlait le plus de laïcité, mais dans un sens complètement dévoyé et manipulé. Cela arrive encore de temps en temps. Et nous, nous avons encore à rappeler à l’Observatoire que la laïcité permet la liberté de conscience, la liberté de croire ou de ne pas croire, la liberté de changer de religion et la liberté de pratiquer son culte, quelle que soit sa conviction et quel que soit son culte. Et que les limites, c’est l’ordre public, ne pas troubler le fonctionnement collectif, la liberté d’autrui, ne pas faire pression sur autrui, ne pas porter atteinte à sa liberté. Quand le Conseil d’Etat rappelle que les mairies sont des bâtiments neutres, où ne doivent s’exprimer aucune préférence religieuse – neutres dans ce sens-là, la religion a sa place ailleurs mais pas dans les mairies – et par conséquent condamne l’introduction de crèche dans les mairies. On entend des responsables politiques dire : “Voilà, on va remplacer le christianisme par l’islam. D’ailleurs on va détruire les croix dans les cimetières, les croix sur les bords des routes et on fait la place aux musulmans”. Non, il y a des maires qui ne respectent pas la loi  là où il n’y a pas de tradition, d’élément culturel, et le Conseil d’Etat l’a simplement rappelé. Mais on donne l’impression que c’est anti-chrétien. Même chose pour les prières de rue qui peuvent choquer mais elles ne sont pas interdites. Ou si elles le sont, c’est pour une raison d’ordre public, parce que cela trouble la circulation comme toute autre manifestation. Mais dans la tête d’un certain nombre de responsables politiques, les prières de rue musulmanes, c’est épouvantable ; mais les prières de rue en bordure de la Manif pour tous, c’est très respectable. L’une et l’autre ont le droit d’exister, que ça plaise ou pas, sauf si elles troublent l’ordre public. Donc on est constamment dans cette attitude qui est très dangereuse car cela génère un sentiment d’exclusion et pour un certain nombre de jeunes un repli identitaire. “Puisqu’on ne me reconnaît comme citoyen à égalité et à part entière, alors je vais me réfugier sur ce qu’est mon identité que je vais peut-être surreprésenter, mon identité de culture ou de religion musulmane, ce qui est leur droit strict pourvu qu’il ne trouble pas les autres mais qui est un appauvrissement par rapport à notre identité qui est d’abord citoyenne. Nous sommes des citoyens, des citoyennes à égalité de droits et de devoir avant d’être des musulmans, des athés, des agnostiques, des juifs…etc.

 

     3. En mars 2018, une vieille femme a été assassinée parce qu’elle était juive. Comment est-ce possible en France ?

 

 
Bien sûr, cet assassinat d’une vieille dame juive, parce que juive et donc, étant juive supposée riche, c’est absolument odieux. Mais c’est là un problème spécifique de l’antisémitisme. Il y a des actes anti-musulmans, anti-chrétiens, parfois anti-francs-maçons, libre-penseurs, notamment dans des débats sur le mariage pour tous -il y a eu des actes d’agression pas des attentats à ma connaissance-. C’est terrible parce qu’il y a un vieux fond d’antisémitisme qui n’est pas mort dans ce pays, comme dans d’autres pays européens ou des pays par ailleurs démocratiques. C’est un vieux fond qui a préexisté à la Shoah, à la barbarie nazie des années 20, des années 30, qui est présent surtout dans l’extrême-droite et dans une partie dans le droite, mais qui est présent dans la tête de pas mal de nos concitoyens et ça reste en toile de fond. Ces préjugés restent en toile de fond. Et puis se développe un nouvel antisémitisme qui est en particulier lié à un certain nombre de jeunes de culture musulmane, soit parce qu’ils sont intoxiqués par leur environnement, soit parce qu’ils mélangent cet antisémitisme avec le conflit israélo-palestinien. On peut être contre le gouvernement Netanyahu, ça ne vous autorise pas à être antisémite. Et donc, il y a là un travail d’éducation à faire dans l’école pour ne pas que ça se répande. Mais ce qui est terrible, c’est qu’il faut comprendre, avec un attentat comme celui-là et ce n’est pas le seul, qu’il y a aujourd’hui en France un certain nombre de juifs qui se sentent en insécurité. Et il faut qu’aucune catégorie de la population se sente en insécurité. Mais encore une fois, c’est un problème de racisme, d’antisémitisme, plus qu’un problème de laïcité au sens strict.

 

     4. Assiste-t-on à une radicalisation de la laïcité comme l’a dit le Président Macron ?

 

 
L’expression a choqué et pourtant lui n’a jamais dit que c’était la même chose. Il y a d’un côté des gens qui font des pressions très graves et qui mettent en danger des vies humaines, et de l’autre côté des gens qui expriment leur vision de la laïcité. Il n’a jamais mis ça sur un plan d’équivalence. Mais c’est vrai qu’il y a une tendance dans le débat public à avoir une espèce de “police de la pensée”. C’est-à-dire que si vous n’avez pas la bonne conception de laïcité, vous êtes au mieux un idiot utile, suivant l’expression historique, au pire un complice objectif. Vous êtes islamo-gauchiste, vous êtes un complice des frères musulmans. Ca, c’est une manipulation du débat public absolument insupportable qui vise à décrire ce que doivent être les bons propos ou les bons discours sur la laïcité. Et moi, j’ai bien pris soin de distinguer la loi, le droit qui ne se discute pas, en tout cas qui s’applique, et le changement de loi qui, lui, peut se discuter. Et donc il y a cette tendance à faire de la laïcité, non pas un principe, parce que la laïcité c’est un principe politique. C’est un principe qui permet de vivre ensemble, qui repose sur la liberté, je l’ai dit, sur la neutralité de l’Etat et sur la citoyenneté. Mais ce n’est pas un catéchisme, ce n’est pas une religion, il n’y a pas de ‘pape’ de la laïcité. On ne va pas enseigner un corpus de doctrines philosophiques abstraites, on va tenir compte des débats sur différentes manières de voir la laïcité. Donc, c’est vrai qu’il y a une tendance à voir… Mais  méfions-nous dans le choix des mots qui peuvent être blessants. Est-ce que c’est un “laïcisme”, est-ce que c’est une vision intégriste de la laïcité, en tout cas de lui faire dire ce qu’elle ne dit pas, et de lui faire dire ce qui n’est pas dans la loi mais ce que certains voudraient qu’il y soit. Par exemple qu’il n’est pas permis à des mamans accompagnatrices d’accompagner les sorties scolaires avec un foulard. Entre parenthèses, il y a des tas de villes où il n’y aurait plus de sorties scolaires si on faisait ça. Et en plus le phénomène d’intégration dû au fait que des mamans d’un milieu défavorisé et si j’ose dire en plus de la culture qui n’est pas la culture dominante mais qui est la culture musulmane, s’intéressent à l’école, c’est une très bonne nouvelle. Et vous imaginez ce que ça ferait chez les enfants si leur maman ne pouvait plus accompagner les sorties scolaires parce qu’elle a un foulard ? Ca, se sont des arguments d’ordre politique. J’ai donné des arguments d’ordre juridique dans une précédente réponse. Donc, c’est vrai qu’il y a une tendance à un extrémisme, mais surtout à une police de la pensée, en disant, moi, ce que je dis sur la laïcité, c’est bien. Ce que disent les gens qui ne pensent pas comme moi, c’est mal.” C’est une forme de débat public insupportable qui s’apparente à des procédés qu’on a connus dans certains pays de l’Europe de l’Est à d’autres époques.

 

      5. Dans les cantines scolaires, certains élus refusent de servir des menus de substitution. Est-ce légitime ?

 

 
Ce que nous disons à l’Observatoire de la laïcité, nous n’employons pas l’expression “menu de substitution” car c’est faire droit à une demande à caractère religieux seulement. La laïcité pour nous est toujours la solution du plus grand commun des dénominateurs, ce qui rassemble et nous disons : “les communes doivent offrir du choix”. Le choix c’est bon pour la santé. Cela permet aux végétariens qui ne veulent pas manger de viande de ne pas manger de viande. Cela permet à celui ou celle qui, un jour donné, ne veut pas manger de viande de ne pas manger de viande ce jour-là. Et cela permet à celui ou celle qui ne veut pas manger de porc, pour des raisons religieuses, de ne pas manger de viande de porc. C’est assez simple. ça fonctionne très bien. Or, il se trouve qu’il y a de temps en temps des maires, à commencer par le maire de Chalon-Sur-Saône qui est revenu sur une pratique qui datait de 1984 dans sa commune et instituée par quelqu’un du même parti politique que lui, Monsieur Perben qui a été maire et ministre de la Justice. Là, c’est une instrumentalisation de la laïcité et ça a été d’ailleurs condamné par le tribunal administratif de Dijon. Ce n’est que le tribunal administratif, on verra ce qui sera dit en appel et en cassation.Il a dit que la France est signataire de la Convention Internationale des Droits de l’Enfant qui précise que dans toutes nos décisions publiques, on doit mettre en avant d’abord l’intérêt de l’enfant. Cette décision du maire n’avait pas été prise dans l’intérêt de l’enfant, sans même qu’il invoque des difficultés pratiques.

 

      6. Faut-il changer le calendrier des jours fériés au nom de la laïcité ?

 

 
Cela nous semble un terrain dangereux parce que, surtout dans le climat de tension qui caractérise la situation française, je ne sais pas trop par quel bout on pourrait l’aborder sans déclencher de très grands conflits. Parce qu’encore une fois, les médias et une partie des politiques, ne parlent que des difficultés, que des incidents, que des conflits, et qu’on a l’impression, à écouter certaines chaînes de télévision en continu ou à regarder certains posts sur internet, que la France est à feu et à sang, et que la laïcité est menacée. Donc toucher à cela ne serait pas injustifié pour tenir compte de la diversité, de la réalité sociologique française mais me paraît en tout cas extrêmement risqué, d’autant que les non-croyants qui sont probablement majoritaires, athées, agnostiques, indifférents, libres-penseurs diraient ‘pourquoi ne pas avoir une fête de l’athéisme ou une fête de la libre pensée, un jour, qui serait chômée’. Et ils sont quand même plus nombreux que les croyants !

 

     7. Les enseignants sont-ils assez outillés pour faire vivre la laïcité à l’école ?

 

 
Ce que je constate, c’est bien entendu que, face à certaines constatations et une certaine pression, une partie de la communauté des enseignants et de la communauté éducative se sent désarmée. Donc il faut les outiller pour dire ce que permet la laïcité et ce qu’elle interdit. Mais en même temps, je constate partout sur le territoire des réalisations formidables et je regrette qu’on n’en parle pas plus, y compris dans les quartiers difficiles des zones REP ou REP+ . Et pour les différents enseignements, depuis la maternelle jusqu’au BTS. Il y a de nombreux établissements où un travail formidable est fait avec les élèves autour par exemple de la Charte de la Laïcité à l’école qui a été introduite par Vincent Peillon, mais aussi autour de l’enseignement moral et civique ou autour de l’enseignement laïque des faits religieux. Je souhaite, et nous voulons y contribuer à l’Observatoire, qu’on puisse mieux connaître et faire connaître ces réalisations qui sont intéressantes, parce qu’elles peuvent servir d’exemple dans d’autres établissements, et qui permettent à nos concitoyens, de voir que, bien sûr, il y a des difficultés qu’il ne faut pas nier, qu’il y a des conflits, mais qu’il y a aussi beaucoup d’endroits où la laïcité est bien vivante. Elle est vivante comme quelque chose qui permet de concilier la liberté de chacun avec le fonctionnement collectif de l’institution scolaire ou même du pays. Bien sûr, il y a des cas, je pense notamment à Montpellier, mais ce n’est pas le seul cas, où en partenariat avec la Ligue de l’Enseignement, il y a une espèce de “tour de ville”, où à travers ces découvertes physiques, historiques, géographiques, on parle des faits religieux et de la laïcité. Très concrètement, on va voir la synagogue, la mosquée, le temple maçon et puis la mairie, comme lieu de la laïcité, après avoir vu les lieux religieux et on discute de ce qui se passe dans chaque lieu, qu’est-ce que ça veut dire, quelles sont les croyances et comment la laïcité permet de faire vivre les croyances. Un autre exemple, je ne sais plus où c’était, c’était plutôt des Terminales : un jeune garçon musulman et une jeune fille juive ont fait un reportage extraordinaire sur les préjugés des musulmans sur les juifs et des juifs sur les musulmans. Ils l’ont fait avec beaucoup de talent c’est-à-dire qu’ils poussaient les gens à la faute, à dire des choses qui étaient violentes, qui étaient dures, qui étaient des préjugés scandaleux. Ils les encourageaient et les gens se lâchaient petit à petit. Ils ont fait un montage avec ça, en mettant des petites icônes pour montrer ce que les gens avaient en tête, des préjugés des musulmans sur les juifs et des juifs sur les musulmans. C’est un travail ravageur, quand vous avez ça, et ça vient de deux personnes qui ont deux cultures différentes. Ça a un effet extraordinaire. On a des initiatives de ce genre-là, très diverses, très nombreuses et très vivantes.

 

Pour en savoir plus sur l’Observatoire de la Laïcité

Retrouvez l’ensemble de nos Rendez-vous de la laïcité

Je m’abonne à la newsletter en tant que