Replis identitaires : quand le vivre-ensemble est en péril

Replis identitaires : quand le vivre-ensemble est en péril
Dans son dernier livre, Pascal Blanchard, historien du fait colonial, met en lumière le repli de la société française sur elle-même et la montée d’un racisme « brut ». Quelles résurgences de notre histoire coloniale expliquent notre société d’aujourd’hui ? Pour quel vivre-ensemble ? Interview.

La France aujourd’hui a peur. Les attaques de Daech risquent-elles de nous faire tomber dans le piège du repli sur soi ?

 

Avec ces attentats, la tendance au repli sur soi risque encore de s’accentuer. Dans cet essai (Le Grand repli co-écrit avec Nicolas Bancel et Ahmed Boubeker) paru en octobre 2015 (et autour duquel nous vous invitons à débattre à l’occasion du prochain Jeudi de la solidarité), je pointais à quel point dans notre pays, « l’autre » n’est plus le frère, mais celui dont il faut se protéger parce qu’il menacerait notre existence. Il est vu comme celui qui met en péril notre identité, ramenée de plus en plus à une religion, à des origines et même à une couleur de peau. On assiste là à une régression majeure. Désormais l’ennemi intérieur et l’ennemi extérieur ne font qu’un, donnant un sentiment qu’une « guerre » serait engagée et, par amalgame immédiat, que chacun serait inscrit dans un camp.

 

Pourtant, des millions de Français d’origines plurielles  travaillent ensemble, prennent les transports ensemble, font du sport ensemble… Ne pensez-vous pas que le « vivre-ensemble » est aujourd’hui une réalité qui « marche » en France ?

 

C’est justement parce que nous sommes devenus un peuple « divers » qui vit bien ensemble, un pays ou l’intégration marche, un modèle assez exceptionnel dans le monde, que des voix s’élèvent pour lutter contre ce « métissage » ! Si on insulte Christiane Taubira, si on lui dénie toute légitimité, n’est-ce pas parce qu’elle est la preuve que, quelle que soit ses origines, son parcours, il est aujourd’hui possible d’arriver aux plus hautes fonctions de l’Etat ? De même, cela explique le succès de la théorie du « grand remplacement », relayée  par des « grands intellectuels », qui fait redouter la disparition des « Français de souche » au profit de ceux qui viennent d’ailleurs, et en particulier de l’ancien empire colonial. Et cela n’est plus le fait que du Front National puisque 30% des Français se déclarent ouvertement plus ou moins « racistes », alors que l’on aurait pu imaginer que ce « sentiment » aurait du régresser.

 

Comment expliquez-vous ce retour du racisme ? La crise économique, la montée des intégrismes et les migrations liées aux conflits internationaux suffisent-elles à expliquer cela ?

 

Ce sont des facteurs d’explication mais quand bien même on réglerait ces problèmes, on ne viendra pas à bout du racisme tant qu’on n’aura pas fait un travail foncier sur l’histoire coloniale, sur le regard sur l’autre et les stéréotypes mais aussi sur la manière de valoriser l’histoire de l’immigration. Ceux qui sont visés par ces attaques racistes sont finalement ceux qui viennent ou dont les parents et grands parents sont venus des anciennes colonies. Ils sont encore regardés par une partie de la population comme des  « indigènes inférieurs ». Certes, l’égalité de droit est acquise, mais pas de fait dans les imaginaires. Le travail qui s’impose est donc de reconstruire l’histoire plurielle de cette France qui a été colonisatrice et a participé à l’entreprise de l’esclavage, tout en expliquant que dans le même temps cette France a sans aucun doute « inventé » la diversité d’une société et le « vivre ensemble ». Comment voulez-vous en effet qu’un peuple métissé vive correctement ensemble si une seule histoire s’impose, celle de l’ancien Empire ? D’un refus de voir et de savoir, donc d’une impossibilité d’une mémoire commune, d’un récit commun. Si les enfants de deuxième ou troisième génération d’immigrés ne se sentent pas entendus, pas reconnus, il ne faut pas s’étonner qu’une partie d’entre eux se tournent vers ailleurs et haïssent l’Occident et la République, et que d’autres se pensent désormais comme des « petits blancs » et s’engagent électoralement vers le Front national. Tant que nous n’aurons pas de récit collectif, pluriel et partageable par tous (la France patrie des Droits de l’homme mais aussi une France qui a participé à l’entreprise de l’esclavage et de la colonisation), nous n’en découdrons pas avec ce grand repli mortifère où s’engage notre pays. Il est plus que temps de réagir.

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