Comment vous est venue l’idée de cet ouvrage ?
Dans le cadre de très nombreux déplacements de terrain, j’ai constaté à quel point la laïcité pouvait être sujet à confusions. Cela est encore plus marquant dans les médias, où l’on entend sans cesse des experts auto-proclamés affirmer de façon péremptoire des vérités sur la laïcité qui n’en sont pas… Il paraissait donc utile de revenir sur ces idées fausses qui conduisent parfois à une mauvaise application de la laïcité sur le terrain.
Est-ce aussi une réponse à un malaise croissant qui attise les stigmatisations et le repli sur soi ?
Dans une récente enquête d’opinion de Viavoice, on constate que seulement 19% des Français considèrent que la laïcité rassemble « en pratique », quand ils sont majoritaires à le penser « en théorie ». Ce gap entre pratique et théorie illustre combien la mauvaise compréhension de la laïcité peut amener à la division alors qu’elle est un formidable outil pour construire la maison commune.
95 idées fausses, c’est beaucoup ! Pourquoi faire tant de pédagogie sur un sujet qui ne semble pas si compliqué ?
Si les grands principes de la laïcité sont plutôt simples, c’est son application concrète, au quotidien, qui peut vite devenir compliquée. Par exemple : est-ce qu’un délégataire de droit privé d’un service public est soumis à la neutralité ? Oui. Autre exemple : est-ce qu’un préfet peut participer à une cérémonie religieuse ? Oui, notamment pour marquer son soutien aux proches d’un fonctionnaire décédé dans le cadre de ses missions, mais il ne doit pas marquer d’adhésion au culte en question. Ces réponses ne sont pas toujours connues.
Pensez-vous qu’il y a eu ces dernières décennies un dévoiement de la laïcité ?
Il y a un constat : celui du remplacement d’un racisme anti-arabes par une opposition permanente aux musulmans, prétendument au nom de la laïcité. C’est évidemment une perversion pour justifier l’indéfendable. La laïcité n’est pas un outil anti-croyants, c’est notamment un formidable outil pour, ensemble (que l’on soit croyant ou non), faire Nation. Nous constatons d’ailleurs que ces mêmes qui dévoient la laïcité contre les musulmans ne sont pas dérangés lorsque des médecins empêchent des femmes d’avorter au nom de leur conception de la religion, ou lorsque des fonctionnaires marquent une adhésion à une religion qui n’est pas l’islam. Nous combattons tous l’islamisme et le terrorisme islamiste. Il faut, sur cette question, être absolument intraitable. Mais la laïcité n’a rien à voir avec un combat contre des croyants qui respectent le droit commun.
A en croire le débat public, il semblerait qu’il y ait plusieurs laïcités. Le débat sur la laïcité n’a-t-il pas lieu d’être ?
Si, il est normal et sain dans une société qu’il y ait un débat sur la laïcité. Mais encore faut-il que chacun assume ses positions. Certains s’en prennent par exemple à l’Observatoire de la laïcité alors que celui-ci ne fait que rappeler strictement le droit de la laïcité. Or, ceux qui s’y attaquent n’assument pas le fait qu’ils défendent une « nouvelle laïcité », qui n’a rien à voir avec la laïcité telle que définie en particulier par la loi de 1905. Du reste, l’on peut à mon sens amender à la marge cette dernière, mais sans en rompre l’équilibre, uniquement pour en renforcer certains dispositifs.
Qu’est-ce que l’horrible attentat contre l’enseignant Samuel Paty nous apprend ?
Un professeur a été assassiné simplement parce qu’il apprenait à ses élèves la liberté d’expression, à travers l’explication de caricatures de presse. Samuel Paty a été la victime d’un fanatisme islamiste qui glorifie l’instinct de haine, alors que cet enseignant transmettait à ses élèves les outils leur permettant de toujours se fonder sur la raison. Le terrorisme a pour but de nous diviser, en s’en prenant à des symboles et à nos valeurs communes par des actes d’une immense barbarie. Mais, comme l’a dit le Président de la République, nous « ferons bloc ».