Laïcité à l’école, pourquoi il est urgent d’agir

Laïcité à l'école, pourquoi il est urgent d'agir
Aujourd'hui, dans la série "Les Rendez-vous de la Laïcité", la tribune de Benoît Falaize, référent Laïcité au Ministère de l'Education nationale. Pourquoi et comment il est urgent de mettre en oeuvre une laïcité concrète à l'école. A découvrir !

« Le désespoir des éducateurs serait la victoire des terroristes. » Ce sont les mots de Philippe Meirieu qui termine un texte écrit dans la nuit du 13 au 14 novembre 2015[1], lorsque se pose, une nouvelle fois, la question de l’école, de l’éducation et de la transmission des valeurs. Déjà, après les attentats de Charlie Hebdo et de l’Hyper Casher, ces questions qui ont été posées dans l’émotion étaient nombreuses : que peut-on faire face à l’horreur ? Que dire aux enfants ? Et comment faire entendre raison, ou simplement calmer, ceux qui versent dans la violence et qui sont pourtant les enfants de la République, des enfants passés par l’école française ? Comment faire l’impasse tout à fait sur le fait que les terroristes sont Français et sont passés par l’école publique française, dans l’école maternelle, l’école élémentaire et le cycle secondaire de notre institution scolaire ? C’est cette question qui taraude la communauté enseignante : qu’avons-nous fait de nos valeurs, qu’avons-nous proposé aux enfants que nous avons eu en charge ? Qu’avons-nous fait de nous, au fond, de nos espérances, de nos idéaux ?

 

Face à ces remises en cause fondamentales, qui interrogent toute l’institution et, plus largement, toute la communauté éducative, peut-être est-il superflu de se demander pourquoi il est urgent de réagir. Nous pourrions penser que cela va de soi. Et pourtant… Vite repris dans des routines professionnelles et quotidiennes, sans doute n’avons-nous pas toujours conscience ou l’énergie de mesurer ce que cette nécessaire remobilisation a d’obligatoire, de catégorique. Cette réaction, elle a d’abord eu lieu spontanément dans les écoles et les établissements du secondaire, par des enseignants qui ont choisi de prendre à bras le corps ces questions, dans des échanges parfois compliqués avec les élèves, courageusement, au mépris de leur propre douleur. Cette réaction a aussi été celle du Ministère de l’éducation nationale, lors de la Grande mobilisation de l’école au printemps 2015, initiée par la Ministre de l’Education nationale de la recherche et de l’enseignement supérieur. Elle doit ensuite s’enraciner chaque jour, dans les écoles, les établissements du secondaire, dans nos gestes les plus quotidiens et le plus apparemment banals. Faisons-le avec l’appui des nouveaux programmes d’Education Morale et Civique qui permettent de revenir aux sources de la pédagogie active, en refusant l’inculcation au bénéfice de l’expérimentation, en rejetant le catéchisme pour éprouver la valeur des valeurs dont est porteuse l’école.

Mais à condition qu’elle le soit toujours. L’école est-elle toujours juste ? Socialement d’abord : nous savons que les effets de la relégation sociale des quartiers et territoires déshérités, et la logique qu’impose l’inégale distribution sociale des compétences devant l’école, font que les inégalités sociales, présentes dès la maternelle, ne cessent de s’accumuler. Pédagogiquement enfin : l’école apporte-t-elle, au quotidien, le même soin à chacun, comme l’écrit encore la même nuit Philippe Meirieu : « prendre soin de l’humain avec une infinie tendresse et une obstination sans faille » ? Prendre soin des élèves, d’où qu’ils viennent et quels qu’ils soient, les accompagner, croire en eux, apporter la confiance, mettre en situation de réussite, sans relâche, sans perdre espoir jamais, faire en sorte de se soucier de leur bien-être physique et psychologique doivent être, plus que jamais, au cœur des démarches pédagogiques. Que l’école soit leur maison, cette communauté fraternelle et exigeante dont certains élèves peuvent se sentir exclus. Avec des actes pédagogiques fondés sur une autorité qui reposerait, à chaque moment, non pas sur une conception de l’injonction humiliante, ou coercitive, voire désabusée et défaitiste, mais sur la confiance et  l’éducabilité.

 

Mais cela concerne aussi les adultes, afin de faire des relations entre collègues un modèle de relations, qui sans avoir  injonction à être nécessairement amicales, doivent être empruntes de respect, de politesse et de courtoisie. Et cela vaut, bien sûr, avec tous les rapports entre adultes, entre les différents étages de la hiérarchie. Bref, en donnant le sentiment aux élèves que, sous leurs yeux, se déploie une école bienveillante, exigeante et juste, tout entière portée à les aider, à les obliger à se dépasser et à franchir les « plafonds de verre » nombreux qu’ils peuvent rencontrer. Les valeurs que l’école défend ne peuvent être reniées au quotidien. C’est ce hiatus entre les promesses de la République et la réalité vécue qui crée le malaise et que les élèves perçoivent très vite : ce décalage entre le discours et les actes, entre la promesse et le réel. Les interventions de Mme la Ministre Najat Vallaud-Belkacem le disent, le rapport sur Grande pauvreté et école de 2015 de Jean-Paul Delahaye le dit également avec force[2]. C’est réduire ce hiatus qui est notre charge, pour contribuer efficacement, avec l’ensemble des partenaires de l’école, à la fois à cette grande et urgente mobilisation de tous contre la haine et le rejet des valeurs démocratiques, mais aussi à cette remise en question de routines professionnelles parfois inopérantes pour faire face à la situation nouvelle qui est la nôtre à faire partager l’idéal de l’école.

 

Le thème de la fraternité s’est imposé dans les rencontres interacadémiques et académiques initiées dans le cadre de la Grande mobilisation pour l’école de la république au printemps 2015. Après que nous nous soyons tous rappelé collectivement le sens de notre devise, les fondements historiques et les principes (surtout juridiques) qui guident la laïcité (qui est d’abord, et fondamentalement, un principe de liberté, de liberté de conscience, de liberté religieuse), la fraternité, « fille naturelle de la liberté et de l’égalité » [3] comme le dit l’historien Olivier Loubes, s’est imposée à notre institution. Comme le souvenir de ce que nous construisons en commun. Elle ne peut pas être simple incantation à destination des élèves. La fraternité n’est pas une idée que l’on défendrait par facilité conjoncturelle, comme un effet de mode : elle est la notion à faire vivre, à expérimenter chaque jour. Ce doit être une préoccupation de chaque instant, une ardente nécessité, par laquelle la promesse de l’école républicaine se tient ou peut être tenue. Les programmes d’Enseignement moral et civique précipitent ce mouvement pour tous les éducateurs soucieux de changer de posture professionnelle et convaincus qu’ainsi, ils pourront lutter plus efficacement encore contre la violence et la haine. Ces programmes disent les fondements juridiques et les règles de la démocratie et de la République, mais relient toujours ces apprentissages au fait d’éprouver les valeurs, de les expérimenter, de réfléchir aux émotions et de pratiquer l’empathie par la découverte de ce qu’éprouvent les autres (par la littérature, le changement de position et de point de vue). Ces programmes sont, à condition que la communauté éducative s’en saisisse pleinement, un des chemins vers la compréhension de ce qu’est notre objectif commun : La solidarité, le refus des discriminations et de toute forme de racismes, la tolérance, et l’absolue certitude que le respect de la dignité de chaque personne est le fondement de tout geste éducatif.

 

Benoît Falaize, historien

Chargé d’études laïcité/Valeurs de la République

DGESCO/MEN

 

[1] Philippe Meirieu, Éduquer après les attentats, Paris, ESF éditeur/Café pédagogique, 2016

[2] Voir : http://observatoire-reussite-educative.fr/ressources/outils/rapports,%20etudes/2015/rapport-grande-pauvrete-et-reussite-scolaire

[3] Voir : https://www.reseau-canope.fr/les-valeurs-de-la-republique/fraternite.html

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