« Le système éducatif libanais reproduit la division sociale et communautaire »

« Le système éducatif libanais reproduit la division sociale et communautaire »
L’école au Liban est le miroir d’une société basée sur un fonctionnement communautaire. Le manque de moyens dédiés à l’école publique supprime toute possibilité de voir un jour une unité quelconque entre les différentes communautés du Liban. L’école publique ne devrait pas être l’école des pauvres mais bien un lieu de partage, qui réunit avant tout des citoyens. Interview de Maissam Nimer, sociologue.

Le secteur privé confessionnel est très développé au Liban. Qu’en est-il exactement ?

La « liberté scolaire » prime sur toutes les autres valeurs au Liban. Elle a été inscrite dans la Constitution à son indépendance en 1943 dans le but de protéger les 17 communautés recensées au Liban et la liberté de croyance. C’est ainsi que le secteur privé confessionnel s’est développé plus tôt que le public. En 2012-2013, celui-ci recueillait 64% des inscriptions contre 32% pour le public (les 4% restant représentant les écoles gérées par les Nations Unies et réservées aux réfugiés palestiniens). Sur ces 64%, 51% vont vers le privé payant et 13% vers le privé subventionné par l’Etat. Face aux problèmes du secteur public, les familles donnent la priorité aux écoles privées pour leurs enfants malgré des coûts qui peuvent atteindre jusqu’à 15000 dollars par an.

Autrement dit, le système éducatif est explicitement inégalitaire tout e favorisant le repli sur elles-mêmes des communautés ?

En effet, les élèves les plus défavorisés se replient vers le public, ce qui leur donne moins de chance de réussir. L’ascenseur social est donc en panne : on constate davantage d’enfants décrocheurs dans le public où l’enseignement en langue étrangère est mal assuré (alors même que le bac se passe en français ou en anglais dans les matières scientifiques) et un score en moyenne inférieur de 10% à celui du privé. De plus, ce système éducatif à prédominance privée et confessionnelle renforce les identités communautaires, ce qui ne favorise pas la découverte mutuelle et exacerbe les tensions. L’école publique, si elle était de qualité et suffisamment financée, pourrait renforcer la cohésion sociale et le lien entre les Libanais autour de valeurs universelles. Force est de constater que ce n’est pas le cas.

 

Concrètement, comment cela se passe-t-il dans le système public ?

En 2012, les dépenses pour l’éducation représentaient 7,1% de la dépense publique (comparé à 9,7% en France). Résultat : grand nombre de bâtiments sont loués et ne remplissent pas les conditions requises pour les bâtiments scolaires, un cinquième du parc requiert réhabilitation et rénovation. Quant aux ressources matérielles (manuels, laboratoires, bibliothèques et ordinateurs), elles sont peu abondantes dans les écoles publiques. Mais ce qui pose le plus problème est la faible qualification des enseignants dans le public : le ministère a recours à de nombreux contractuels qui sont ensuite titularisés, mais pas pour autant formés. Par conséquent, 45% des enseignants dans le public n’ont aucun diplôme universitaire.

 

Le Liban détient le record mondial d’accueil de réfugiés avec 183 réfugiés pour 1000 habitants. A-t-il pris des mesures pour scolariser les enfants nouvellement arrivés ?

Des efforts ont été faits, même si, en 2015, on a recensé 37 289 enfants sur liste d’attente. Les écoles publiques accueillent environ 80 000 élèves dont la moitié a intégré les écoles existantes, et l’autre moitié a été scolarisée dans 80 écoles qui ont été ouvertes pour un horaire supplémentaire l’après-midi. L’administration a eu des difficultés à convaincre les titulaires d’assurer ce service supplémentaire. Les enfants réfugiés doivent ainsi étudier sur des périodes plus courtes, plus intensives et, pour les matières scientifiques dans une langue que la plupart ne maîtrise pas (l’anglais ou le français). D’où le fort taux d’abandon. Ajouté à cela les difficultés financières des parents, on comprend pourquoi beaucoup se mettent à travailler ou à mendier dès 13 ou 14 ans. Le risque d’exploitation est grand, comme en témoigne la découverte récente d’un réseau de prostitution essentiellement alimenté par les jeunes syriennes.

 

Avec l’opération Rentrée Solidaire, donnons les moyens à l’école publique libanaise d’accueillir les réfugiés !

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