“ Les entreprises technologiques ne résolvent pas les inégalités en matière d’éducation, elles peuvent même les perpétuer “

“ Les entreprises technologiques ne résolvent pas les inégalités en matière d’éducation, elles peuvent même les perpétuer “
Alors que la crise sanitaire a mis entre parenthèses l’éducation pour de nombreux enfants dans le monde, les autorités éducatives du monde entier ont rapidement tenté de passer à des modèles d’apprentissage à distance dans le but d’assurer la continuité de « l’apprentissage ». Le recours aux entreprises technologiques présente des dangers pour l’accès à l’éducation. Retour sur le sujet avec Carole Coupez, Déléguée générale adjointe de Solidarité Laïque engagée dans le plaidoyer sur la marchandisation de l’éducation.

Solidarité Laïque participe au Consortium international sur la privatisation de l’éducation et les droits de l’homme (PEHRC), rédacteur de cette synthèse “Reconstruire des systèmes éducatifs résilients : trois leçons sur la privatisation de l’éducation à la suite de la pandémie COVID-19” dont Solidarité Laïque est signataire.

 

Pour assurer la continuité de la scolarisation pendant la pandémie, de nombreux gouvernements ont mis en place des solutions d’apprentissage en ligne, quel est le problème ? 

En effet, selon une estimation de l’UNESCO, 95 gouvernements à travers le monde ont introduit des solutions en ligne pendant la pandémie. Les grandes entreprises technologiques telles que Google, Microsoft et Facebook ont saisi cette aubaine pour prendre une place de plus en plus importante dans l’éducation mondiale. Les entreprises éducatives ont commencé à commercialiser des plates-formes d’enseignement en ligne les promouvant comme des alternatives à long-terme pour l’éducation. Pourtant, près de 47% de tous les élèves du primaire et du secondaire qui sont ciblés exclusivement par les plates-formes nationales d’apprentissage en ligne n’ont pas accès à internet. Les exemples sont répandus: au Pakistan, seuls 31% des foyers ont accès à internet; en Amérique latine, 46% des garçons et des filles âgés de 5 à 12 ans vivent dans des maisons sans accès à internet; et au Kenya, seuls 22% des enfants y ont accès. Ce n’est pas seulement un problème dans les pays du Sud. Dans certaines régions d’Espagne, jusqu’à 20% des étudiants n’ont pas accès aux matériaux en ligne; aux États-Unis, environ 1 enfant sur 10 issu de ménages à faible revenu n’a pas d’accès à la technologie pour l’apprentissage.

 

Quel danger peut représenter cette place de plus en plus importante prise par les entreprises au sein de l’éducation ? 

S’appuyer sur les sociétés multinationales pour proposer des solutions éducatives contribue à l’émergence de nouvelles formes de privatisation et marchandisation de l’éducation, qui soulèvent de nombreuses autres préoccupations, par exemple au sujet du contrôle démocratique de l’éducation. Laisser trop de place aux entreprises privées, c’est aussi créer des systèmes scolaires non résilients. En effet, dans de nombreux pays, il est apparu que les écoles privées n’avaient pas la capacité de faire face à la crise, pour diverses raisons qui pourraient inclure la dépendance aux frais de scolarité de familles déjà à faibles revenus, la pression pour maintenir les niveaux de profit, une gestion médiocre et ciblée à court terme et le manque d’accès au crédit. Le Pérou, le Pakistan, l’Inde, le Royaume-Uni, et l’Argentine font face à la possibilité d’une fermeture massive des écoles privées. Au Kenya, au Maroc et au Sénégal, les gouvernements ont dû intervenir pour sauver les écoles privées; au Népal et au Pakistan, des écoles privées ont fait pression sur le gouvernement pour demander un soutien pendant la crise. Soudainement de nombreux enfants se sont retrouvés déscolarisés. 

 

Pourtant, avec la crise économique, beaucoup d’Etats souhaitent diminuer le budget alloué à l’éducation et la tentation est forte de faire appel au secteur privé. Comment faire face à cette problématique ?

Ce serait une véritable erreur. Il est indispensable au contraire de soutenir les systèmes d’éducation publique gratuit post-Covid en les finançant de manière durable par des action sur les parts budgétaires, une fiscalité progressive, un moratoire sur le paiement de la dette et une lutte contre les politiques d’austérité. Lorsque les gouvernements financent des écoles privées ou s’engagent avec des entreprises technologiques pour l’apprentissage en ligne, des mesures réglementaires doivent être prises pour garantir le droit à l’éducation et protéger les plus vulnérables. La crise de la COVID-19 et ses effets sur les systèmes scolaires ont une fois de plus révélé l’importance de systèmes scolaires publics et inclusifs stables, bien financés, gratuits et conformes aux normes des droits de l’Homme – et ont montré que cela ne peut être réalisé sans les autorités publiques.

 

Mobilisons-nous contre la marchandisation de l’éducation !

Solidarité Laïque participe au réseau francophone contre la marchandisation de l’éducation. Les objectifs de ce réseau sont de promouvoir la réflexion, le débat et la mobilisation face à l’inquiétante augmentation des acteurs privés dans l’éducation, au sein de l’espace francophone.

 

Illustration: libre de droits : Black Jack / 1161966886

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