Les inégalités scolaires sont un enjeu pour la République

11 MILLIONS DE FILLES POURRAIENT NE PAS RETOURNER A L'ECOLE

Dans « L’école peut-elle sauver la démocratie? », les sociologues François Dubet et Marie Duru-Bellat scrutent l’effet des inégalités scolaires sur notre capacité à vivre ensemble. Interview d’un des co-auteurs, Francois Dubet.

Comment la République française se situe-t-elle au niveau européen en matière de lutte contre les inégalités scolaires ?

Au niveau européen, la France a rejoint le peloton de tête des pays où le niveau d’éducation moyen est le plus élevé : 46 % des Français de 30-34 ans sont dotés d’un diplôme de l’enseignement supérieur. Dans le même temps, nous avons un peu plus d’élèves qui, à 15 ans, manifestent des compétences faibles dans la maîtrise de l’écrit et des mathématiques.
Derrière des études plus longues en moyenne, il y a donc un noyau conséquent d’élèves faibles qui sont surtout issus des milieux défavorisés. Car nous sommes le pays de l’OCDE où le niveau scolaire à 15 ans est le plus lié au milieu social d’origine, une spécificité très stable sur la durée.

 

Avec la création du collège unique et la massification scolaire, l’école est pourtant devenue plus égalitaire ?

Son accès est en effet moins inégalitaire, car plus de jeunes accèdent aux études mais elle peut être perçue comme plus injuste par les élèves, vue la façon dont on les sélectionne. Les inégalités sociales, qui se jouaient avant directement dans l’accès aux études, se sont déplacées à l’intérieur du système scolaire avec l’orientation vers les formations professionnelles techniques, qui reste le plus souvent vécue comme un choix négatif. Les élèves s’y sentent orientés parce qu’ils ne sont pas assez bons pour aller vers les filières générales. Ce mécanisme se déploie tout au long des parcours scolaires où la norme de l’excellence des élites pèse sur tous les élèves.

 

En quoi les inégalités scolaires représentent-elles un enjeu pour nos démocraties ?

Une école qui fait une promesse de succès pour tous qu’elle ne tient pas peut être dangereuse pour la démocratie car les élèves qui « n’y arrivent pas » se sentent humiliés, stigmatisés et exclus par ce système de sélection et d’orientation. Même s’il est préférable d’être scolarisé que d’être au chômage, se retrouver dès les premières années d’école, et souvent pendant toute sa scolarité, dans les derniers de la classe peut être extrêmement destructeur et générer de l’hostilité et de la défiance. Ouvrir le système à tous n’est donc pas suffisant ; il faut des mesures de « discrimination positive » certes, ce qui est la fonction des REP et REP+, mais aussi lutter contre le regroupement des élèves faibles dans les mêmes établissements. Il faut de plus veiller à ce que tous les élèves réalisent effectivement les acquis considérés comme basiques et sortent véritablement grandis de leur scolarité.

 

Il faudrait donc pouvoir offrir à tous les élèves une expérience positive de l’école…

On rêverait en effet d’une école bienveillante pour tous. Et c’est précisément ce que notre école élitiste n’arrive pas toujours à faire. Soutenir et valoriser les talents qui ne sont pas purement scolaires, encourager les expériences coopératives comme le fait par exemple l’éducation populaire – avec tant de réussite, mais de moins en moins de moyens-, recentrer ce qui relève aujourd’hui des dispositifs extra-scolaires dans l’école elle-même et son fonctionnement « normal » sont des pistes qu’il faudrait, nous semble-t-il, explorer pour mieux prendre en compte tous les élèves.

 

N’est-ce pas le rôle aussi de l’éducation morale et civique d’apprendre à vivre ensemble ?

Oui, si l’on considère que l’éducation civique n’est pas seulement une matière scolaire… La tolérance ne s’enseigne pas, elle s’éprouve et se vit. C’est dans la vie scolaire elle-même, dans la communauté éducative, dans les activités collectives, que l’école peut être bienveillante et éducative. La bienveillance ne suppose pas que les élèves soient parfaitement égaux aux enseignants et aux adultes, mais qu’ils apprennent à construire ensemble leurs droits et leurs devoirs, à se respecter et à respecter les autres, qu’ils développent le goût et la confiance pour agir, penser et débattre avec d’autres. Et ceci devrait valoir pour tous les élèves, les bons comme les moins bons.

Francois Dubet, co-auteur de
« L’école peut-elle sauver la démocratie ? » (Seuil)

 

 

 

 

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